CONTES
de
NORMANDIE


LA PETITE SOURIS BLANCHE

La fille d'un pauvre paysan se promenait seule un dimanche dans le bois. Elle cueillait des fleurs pour en faire un bouquet, lorsqu'elle aperçut une petite souris blanche couchée sur un tas de mousse.
- Oh ! la jolie petite souris blanche ! dit la jeune paysanne.
Et elle prit la souris pour la rapporter à la maison.
La petite souris était bien malade, et croyant que la jeune fille la prenait pour la donner à son chat, elle lui dit :
- Je t'en prie, ne me donne pas à ton chat, mais laisse moi ici. Je suis la Reine des souris ; je t'en serais reconnaissante.
- Que me donneras tu, alors ?
- Oh ! tout ce que tu pourras désirer. Tu n'auras qu'à venir au bois te faire ta demande et je ferai à l'instant selon tes souhaits.
- Pour commencer, je voudrais que la chaumière que j'habite avec mes parents soit remplacée par une petite maison bien simple, couverte en tuiles et entourée d'un jardin empli de légumes, d'arbres et de fleurs.
- Retourne au village, c'est fait.
La jeune fille laissa la petite souris blanche sur le tas de mousse et rentra au village.
A la place de la chaumine délabrée qu'elle avait quittée quelques heures auparavant, s'élevait une jolie maisonnette aux murs blanchis à la chaux et au toit de tuiles ; dans la cour s'ébattaient les poules, les canards et les oies, et dans le jardin, ce n'étaient que légumes, que fleurs et que fruits. Oh ! comme Jeannette était heureuse et comme ses parents étaient émerveillés de ces prodiges !
Les jeunes gars du village commencèrent à venir lui faire la cour ; mais ce n'était plus l'affaire de Jeannette. Elle se repentait déjà de n'avoir pas demandé davantage à la Reine des souris. Elle aurait pu ainsi se voir recherchée par le fils du notaire, car le fils du notaire était bien plus tentant que les fils de laboureur ou de fermier.
Elle n'y tint bientôt plus et elle alla au bois faire part de ses désirs à la Reine des souris.
Souris blanche, Reine des souris - Je t'attends par ici.
Jeannette attendit un instant et vit la petite souris accourir à son appel.
- Que veux tu, Jeannette ?
- Je trouve ma maisonnette déplaisante. Et, à la place, je voudrais voir une belle maison avec domestiques et serviteurs ; puis un grand jardin, beaucoup d'argent et de belles robes dans l'armoire.

- Retourne au village, Jeannette, tu y trouveras ce que tu désires.
Voilà donc Jeannette la plus riche héritière des alentours et heureuse plus que jamais, car le fils du notaire vient assidûment lui faire sa cour et il n'est bruit dans le village que de leur prochain mariage.
Mais non, car la jeune fille, maintenant que la Reine lui a donné la maison, les champs, l'argent et les robes, songe qu'elle eut pu obtenir un beau château, des diamants et aussi épouser quelque riche seigneur. Elle retourne au bois et appelle la souris blanche.
Souris blanche, Reine des souris - Je t'attends par ici.
- Toi encore, Jeannette ! Que veux tu de moi ?
- Etre princesse et avoir un superbe château.
- Eh bien, Jeannette, c'est fait. Retourne à ton château.
Jeannette était princesse ; un riche seigneur vint la demander en mariage. Mais le seigneur ne lui suffisait plus. Elle voulait un roi. Elle prit le chemin du bois et fit revenir la Reine des souris :
Souris blanche, Reine des souris - Je t'attends par ici.
Lorsqu'elle eut demandé à la souris de changer son château en palais et de la faire Reine de France, la souris blanche lui dit :
- Prends bien garde, Jeannette, tu es trop ambitieuse. Mais va à la ville. Maintenant tu es Reine de France.
Le roi d'Angleterre étant venu à la cour de France voulut épouser la jeune Reine. Mais le roi déplaisait fort au père de Jeannette et celui-ci refusa de marier sa fille à un anglais. Jeannette se fâcha et alla trouver encore une fois la Reine des souris :
Souris blanche, Reine des souris - Je t'attends par ici.
- Encore quelque souhait, Jeannette ? Voyons que veux tu de moi, aujourd'hui ?
- Mon père refuse de me marier au roi d'Angleterre que j'aime beaucoup. Je voudrais que tu fasses mourir mon père.
- Jeannette, tu n'es qu'une folle, et tu ne méritais pas la fortune. Retourne à ton village, je te retire tout ce que je t'ai donné.
Et la souris blanche disparut, laissant la mauvaise fille toute confondue.
Il lui fallut rentrer dans la vieille chaumière d'autrefois et subir les plaisanteries des jeunes paysans qu'elle avait jadis méprisés. Il n'y eut plus pour elle de roi, de prince, de fils de notaire, de laboureur et mˆme de valet de ferme ; et il lui fallut toute sa vie rester vieille fille.

E.H. CARNOY, Contes de France