TRADITION
de
NORMANDIE


LA CHASSE À LA PITERNE

Si on se plaint fréquemment que la campagne manque de distraction, nous pouvons expliquer que la campagne ne possède évidemment pas la plupart des plaisirs de la ville mais elle en possède d’autres que celle-ci ne peut lui ravir. La pêche et la chasse sont de ce nombre, et se prêtent à certains divertissements dont nous ne donnerons ici, à cause de l’espace restreint qu’un seul exemple.

Transposons dans une ferme où un commis, un ouvrier de culture, paraît plus naïf que ses compagnons. Une entente préalable s’établit entre ses camarades et même souvent ses patrons et vers la fin du souper quelqu’un propose d’aller à la chasse à la piterne. Tous les conjurés approuvent et semblent enthousiasmés :
- C’est vraiment un jour à çà !
Celui qui sans s’en douter est le principal intéressé, voyant tout le monde approuver, s’abstient généralement de demander une explication afin de ne pas paraître plus ignorant que les autres. Si au contraire il questionne, tout le monde le plaisante de ne pas connaître la piterne; Et l’on décide sur le champ de partir à l’expédition. Quelque soit l’attitude du héros de l’aventure ce sera toujours lui qui aura l’honneur de porter la « pouche » pour rapporter la piterne. Et tout le monde part les uns munis de lampions, de bâtons, de tambours et de chiens jusqu’à la forêt dans les profondeurs de laquelle on s’aventure. On place le porteur de la pouche à un endroit précis d’où il ne doit s’écarter sous aucun prétexte en tenant le sac tout grand ouvert entre ses jambes, sur le passage certain de la piterne.

Les autres battent la forêt, frappant des coups de bâton sur les arbres, battant du tambour en excitant les chiens afin de faire un bruit d’enfer.
Graduellement les chasseurs s’éloignent, les lumières s’éteignent, le bruit diminue complètement et tous sauf la victime rentre à la ferme en silence en abandonnant en pleine forêt le malheureux qui s’aperçoit un peu tard qu’on s’est joué de lui.

Mais on a vu cette farce tourner à la confusion des auteurs. Un jour celui qui devait capturer la piterne sentit tout à coup un être vivant pencher dans sa pouche.
- Je l’ai, s’écria-t-il, la piterne !
Et il revint tout joyeux à la ferme avant le retour du reste de la compagnie qui fut bien étonné de le voir rentrer avant eux à la ferme.
- J’ai la piterne, s’écriait-il. Et ouvrant son sac, il en sortit un magnifique lièvre qui effrayé par les rabatteurs était venu se faire prendre dans le piège qui ne lui était pas destiné.


A remarquer que Piterne est féminin dans le pays d’Ouche et au nord d’Evreux, et masculin au sud.


Dans certains pays, la même farce est la chasse aux outardes qui se passe de même.

Notes Caresme (février 1944)