Les traditions normandes racontent que Robert le Diable portait constamment au
cimier de son casque une branche d’ortie morte en souvenir du père infernal dont
on le disait être le fils. Tant que ce talisman était à son cimier, il ne pouvait
recevoir de blessures ni éprouver de défaites.
L’ortie morte dont il se parait ainsi ne se fanait jamais pendant l’hiver ; mais à
la fin du printemps, elle tombait en poussière. Alors le duc se rendait à minuit,
au bord d’une rivière de ses états, l’Eure, si nous sommes bien informé.
Là, sans armes, la tête découverte et un pied nu, il traçait autour de lui un cercle
et faisait à rebours le signe de croix. Aussitôt, un guerrier, couvert d’une armure,
de laquelle au moindre mouvement, jaillissaient des gerbes d’étincelles, sortait
de terre et tendait en pleurant les bras à Robert :
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- Mon fils, lui disait-il, mon fils, hélas ! Je ne puis t’embrasser ; je ne puis
te serrer contre ma poitrine, car cette armure, rougie par le feu des enfants,
te consumerait à l’instant. Oh ! Maudit soit l’impitoyable Dieu qui ne permet pas
à un père, si coupable qu’il soit, d’embrasser son enfant.
Alors le tonnerre se faisait entendre dans le ciel, et la terre s’ébranlait,
l’obscurité devenait plus profonde et le démon disparaissait dans un abîme qui
s’ouvrait sous ses pieds. A l’endroit où il avait disparu poussait à l’instant même
une haute tige d’ortie morte que Robert cueillait et attachait à son casque.
Aujourd’hui l’ortie morte ne sert plus qu’à parfumer la litière des bestiaux ; à
peine quelques vieilles femmes connaissent-elles encore la légende, que deux siècles
auparavant, la Normandie entière savait et racontait avec effroi.
S. Henry BERTHOUD - La botanique au village (1866)
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