LÉGENDES |
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Voulant construire une église, saint Taurin avait fait choix d’un emplacement occupé par les ruines d’un temple des faux dieux. Le démon, vaincu déjà sur tant de points du territoire, et furieux d’abandonner encore ce lieu de refuge, s’ingénia, sans relâche, à troubler le travail du saint. D’ordinaire, le sage évêque supportait, avec une dédaigneuse tranquillité, les malicieux tours de son ennemi ; mais, un jour que celui-ci s’était montré plus railleur et plus tracassier que jamais, le saint sortit tout à coup de sa longanimité, saisit le diable par l’une de ses cornes, et le secoua d’une si rude façon, que la corne en fut déracinée. Le vaincu poussa un hurlement effroyable de rage et de douleur, puis disparut en un clin d’œil, ne s’inquiétant pas, pour le moment, de demander son reste. De son côté, saint Taurin, curieux de conserver son étrange et glorieux trophée, le fit soigneusement déposer dans les souterrains de la nouvelle église. Depuis lors, on entendit, chaque nuit, une voix retentissante, qui s’élevait de ces profondeurs, s’écrier, sur tous les tons de la supplication, du dépit et de l’impatience : Taurin, Taurin, rends moi ma corne ! Malgré ces réclamations énergiques, la corne fut conservée jusqu’au siècle dernier, à l’abbaye d’Evreux, où elle se voyait encore. On assure même que le miracle n’avait pas discontinué, quoique la corne fût devenue plus habituellement silencieuse ; car il suffisait de l’appuyer contre son oreille pour entendre répéter, à travers un mugissement étouffé et plaintif : "Taurin, Taurin, rends moi ma corne !" Le Chevalier Masson de Saint Amand |