LÉGENDES
de
L'EURE


LA LIBÉRATION MIRACULEUSE

Dans la ville de Brionne, qui est distante de l’abbaye du Bec d’environ un mille, vivait autrefois un nommé Isoard, père de Maubert, père lui-même de Robert le Maçon. Ce dernier s’est fait moine au Bec, et c’est de lui que celui qui écrit tient la narration qu’on va lire.
Cet Isoard ayant obtenu par hasard, des reliques du P. Nicolas, très illustre confesseur du Christ, savoir : de l’huile qui coule de ses sacrés ossements, prit la résolution d’ériger un autel en l’honneur du saint, dans l’église Notre Dame, qui se trouve au bas de la place du Marché (infra forum), afin d’y déposer les saintes reliques qu’il possédait.
Pendant qu’il exécutait son projet avec une grande ardeur, aidé d’un prêtre qu’il s’était associé, vint à passer devant l’église un jeune homme surpris en flagrant délit de vol, que l’on conduisait pour subir le dernier supplice au lieu nommé vulgairement les Fourches patibulaires.
Ce malheureux était suivi de sa mère qui était veuve, et dont il était le fils unique.
Lorsque le triste cortège fut arrivé devant l’église où les personnages cités plus haut travaillaient à leur pieuse construction, la pauvre femme entra en courant dans l’église et se mit à pleurer en jetant de grands cris.
Les deux amis la voyant et l’entendant, lui demandèrent la cause de ses larmes. Elle leur raconta les motifs de son affliction.
Après son récit le prêtre lui dit :
- Si tu veux que ton fils soit délivré, fais promptement un lien et entoures en cet autel sacré, qui est construit, comme tu le vois, en l’honneur du B. Nicolas, et fais le vœu de le couvrir de cire s’il délivre ton fils.

A ces mots, la femme s’élance hors de l’église, fait un lien le plus vite possible, revient, et entour l’autel tout entier, promettant de l’enduire de cire en l’honneur de saint Nicolas, si le B. confesseur vient au secours de son fils.
Et aussitôt elle s’élance sur les pas de son fils que déjà trois hommes avaient conduit hors de la ville, dans le lieu nommé : le champ de Geoffroy le Bouvier, où l’on exécutait les criminels.
Parvenus à cet endroit, les exécuteurs lièrent les mains du patient, dressèrent l’échelle contre le gibet et firent tous les apprêts du supplice. Tout étant disposé, le premier des exécuteurs dit à l’un de ses camarades :
- Monte à la potence et suspends-y ce voleur.
- Fais ton devoir, répondit l’autre et attache le toi-même, car je ne le ferai pas.
- Pourquoi ?
- Parce que je ne le puis.
- Eh bien, moi non plus, je ne l’attacherai pas, parce que je n’ai pas la force de porter la main sur lui.
Tous deux dirent alors au troisième :
- Prends ce voleur comme cela nous a été ordonné.
- Non, répondit-il.
- Et pourquoi ?
- Parce que je n’en ai pas la force et que je me trouve dans la même position que vous.
Pendant qu’ils discutent, la frayeur les saisit, et ils se sauvent le plus vite possible, laissant le patient seul avec sa mère…
Enfin, la mère s’approcha de son fils et lui ôta ses liens sans que personne s’y opposât. Heureuse et remplie de joie, elle revint à l’église avec son fils, louant et bénissant le Seigneur et son serviteur le B. Nicolas.

CHARPILLON & CARESMES - L’Eure