CONTES
de
NORMANDIE


LE VIOLON MERVEILLEUX

Un jeune homme nommé Jean s'engagea un jour dans une ferme pour soigner les bestiaux. Au bout de trois ans, il résolut de s'en aller. A cet effet, il demanda à son maître de lui payer ce qu'il avait gagné. Celui-ci prit dans sa bourse... trois liards et les donna à Jean, qui s'en alla tout joyeux.
Après avoir marché trois jours, il arriva à un carrefour où se tenait assis un vieillard sale, malpropre, en haillons, qui lui dit :
- Faites-moi une petite charité pour l'amour de Dieu !
- J'ai justement trois liards, je vais vous les donner. En trois ans j'en pourrai gagner autant. Prenez-les.
- Pour récompenser votre bon caractère, je vous donne trois souhaits à faire. Choisissez.
- En ce cas, je demande un fusil qui ne manque jamais son but, un violon qui oblige à danser, et la parole franche, c'est-à-dire qu'on ne me refuse jamais rien.
Le pauvre homme réalisa les souhaits de Jean, qui continua son chemin moitié dansant et moitié courant. Il arriva ainsi dans un bois où il s'arrêta pour se reposer. Jean entendit alors une voix qui disait :
- Ah ! Que ne donnerais-je pas pour avoir ce beau rossignol qui chante sur cet arbre !
C'était le fermier qui avait donné trois liards au jeune homme. Celui-ci prit son fusil qui ne manquait jamais son but et tua le rossignol, qui tomba dans un buisson de ronces et d'épines.

L'avare se baissa et entra dans le fourré épineux où se trouvait l'oiseau. Prenant alors son violon magique, Jean joua, et l'avare, emporté par une force supérieure, se mit à sauter, à bondir dans les ronces qui le déchiraient de toutes parts.
- Arrête ! ! Cria-t-il au jeune homme ; je te donnerai cinq cents écus. Mais hâte-toi ! je n'en puis plus.
Jean cessa de jouer et reçut les écus du fermier qui s'en alla en grommelant et partit le dénoncer à la justice. Le jeune paysan fut donc arrêté, jugé et condamné à mort. L'exécution fut fixée au lendemain.
Le fermier, les juges, toute la population de la ville ‚tait r‚unie sur la place, où une haute potence avait été dressée. Jean arriva et demanda aux juges de lui donner son violon pour en jouer encore une fois avant d'être pendu. Le fermier se mit à crier :
- Ne lui donnez pas le violon ! Liez-moi ! liez-moi !
Mais Jean avait la parole franche : on ne put lui refuser.
Prenant le violon merveilleux, il joua, et chacun se mit à danser sans pouvoir s'en empêcher, le fermier tout le premier. Lassés, exténués, mourant de fatigue, les juges prièrent Jean d'arrêter, lui promettant de le laisser libre. Le jeune homme cessa de jouer, et il put retourner à son village avec son violon et son fusil, dont il se servit encore dans maintes occasions.

Henri CARNOY - Contes, petites légendes in "Romania" (1879)