Une personne de la campagne avec laquelle j'ai eu un long entretien sur les fourolles
et autres apparitions analogues, qui ne manque ni de bon sens ni d'instruction et
s'amuse volontiers de tous les contes populaires, me disait qu'elle avait été
elle-même impressionnée d'une rencontre de ce genre, l'année précédente.
« Je revenais de Vannecroq, me dit-elle, lorsque, arrivant près d'une ferme de
M. de Pommereux, tout à coup, à une centaine de pas devant moi, apparut une petite
flamme bleuâtre qui se tenait à quelque distance du sol en ondulant légèrement
comme une banderole agitée par la brise... Je n'avais jamais vu de feu follet,
mais j'en avais entendu parler... Connaissant la cause de ce phénomène, je n'éprouvai
donc aucun sentiment de crainte... Je m'avançai hardiment vers cette flamme capricieuse...
A mesure que j'avançais, elle semblait fuir devant moi... En deux bonds je fus
près d'elle ou du moins je le crus...
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« Oh erreur !... Je la vis à la même distance et dansant, ondulant avec mille
folâtreries... Puis, elle se mit à tourbillonner autour de moi... se rapprochant,
s'éloignant comme une abeille irritée cherchant à se venger du téméraire qui s'est
exposé à son courroux... Soudain, elle s'éteignit !…
« Je fus un moment avant de me remettre. Revenu d'une sorte d'éblouissement, je me
trouvais dans une obscurité profonde. Je songeai à rentrer chez moi, mais comment
retrouver ma route ? Il faisait noir comme dans un four, je ne savais où j'étais...
Je m'en remis au hasard du soin de me guider... Je n'avais pas fait quinze pas,
que je trébuchai... Je cherchai à me retenir... Mais inutilement, je ne trouvai
que le vide... Et bientôt je me sentis enseveli dans une vase infecte... Je compris
que j'étais tombé dans une mare... Après avoir barboté quelque temps, je parvins
à me dépêtrer tant bien que mal et je sortis de mon bourbier. Le ciel s'éclaircit
un peu... ou plutôt mes yeux s'accoutumèrent à l'obscurité... je pus enfin m'orienter...
J'étais en pays de connaissance !... Et je suis encore à me demander comment j'avais
pu m'égarer dans ces chemins que je connaissais parfaitement… »
Émile DUMONT - Légendes et traditions de mon pays (1861)
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