LÉGENDES
de
L'ORNE


JEAN, LOUP DE VERRIÈRES

Vers l'année 1557, il y avait au village, qu'on a nommé depuis la Croix, une chaumière habitée par un homme à la mine peu rassurante et terriblement redouté de ses voisins ; on l'appelait Jean-Loup. Il ne travaillait jamais et, bien qu'on ne lui connût aucun bien que sa cabane, il ne manquait de rien et ne demandait rien à personne. Il est vrai que beaucoup d'objets disparaissaient souvent dans le quartier ! Sans chercher à éclaircir les soupçons, les paysans d'alentour qui le craignaient fort le regardaient plutôt comme un sorcier dangereux qu'il fallait ménager.
Un jour, cependant, qu'il fut surpris en flagrant délit, Jean-Loup fut saisi pour être conduit dans la cour du château de Verrières, afin d'y être fustigé devant le public. Le long du chemin, Jean-Loup faisait de terribles menaces à ceux qui le traînaient et, à la faveur d'un violent orage, se dégagea sans peine des mains de ceux qui ne le retenaient qu'en tremblant.
Il gagna rapidement la campagne sans que personne n'osa même le poursuivre.
Depuis ce temps là, on le revit plus jamais dans le pays.

Peu de temps après la disparition de Jean-Loup, les voisins s'aperçurent qu'à la tombée de la nuit, un loup de taille énorme venait, presque chaque soir, rôder autour de sa cabane, devenue déserte. Il étrangla net, un jour, un pauvre père de famille, chargé d'enfants.

À cette nouvelle, tous les gens du pays furent convaincus que l'animal hystérique n'était autre que Jean-Loup, lui même, qui revenait visiter son ancienne demeure et se venger de ceux qui avaient voulu le faire châtier.
Le seigneur de Verrières fit vainement organiser des battues pour prendre ce loup, qui, chaque jour, enlevait des volailles, des brebis, s'attaquait aux enfants, jetant partout l'épouvante.
En désespoir de cause, le curé de Verrières ordonna une neuvaine publique qui devait se terminer le jour de la saint Marc. Ce jour là, 25 avril 1558, le ciel était couvert de gros nuages très lourds et chargés d'électricité. Alors que la procession, revenant par la croix de Saint Louis, allait rentrer à l'église, au moment où les fidèles en prière passaient derrière l'ancienne demeure de Jean-Loup, tout à coup, on vit surgir le terrible loup qui se jeta au milieu du pieux cortège. A l'instant, un éclair aveuglant déchira le ciel, la foudre tomba avec fracas, renversant une partie de l'assistance.
A ce coup, les gens se crurent frappés par la vengeance dont les avait menacés Jean-Loup, le jour de la tempête de la Beuvrière qui ressemblait si bien à celle ci. Et quand le premier moment de stupeur fut passé, ils virent qu'ils étaient sains et saufs, tandis que le curé très ému considérait, à ses pieds, le cadavre du loup qui venait d'être foudroyé. La procession se remit en marche, au son du chant de l'action de grâce.
A l'endroit même où le loup avait été tué et où il avait étranglé le malheureux père de famille, les habitants de Verrières élevèrent une croix qui fut appelée la croix Saint Marc, à cause du jour mémorable qu'elle rappelait.

Félix CHAPISEAU - Folk-lore de Beauce et de Perche (1902)