LÉGENDES
du
CALVADOS


VISIONS DE CHIENS

On rencontrait partout l'ombre de ces intéressantes bêtes, soit par unité, soit au nombre de deux le plus souvent, on les voyait faire irruption à chacune des extrémités d'une "plianche", de l'encoignure d'un champ ou de son entrée, de derrière une haie, de l'entrée d'une sente ou d'un chemin de traverse. Il y en avait de tous les aspects.

Aux abords de la "Croix Allamain", vers le pays de Campandré, mouvementé et assombri par les sapinières, c'était ou un chien de garde, à poils frisés parsemés de taches blanches, qui faisait peur aux chevaux ; ou deux molosses qui accostaient les passants, l'œil ardent et les accompagnait soit le nez sur les talons, soit en leur faisant escorte jusqu'à ce qu'ils crussent les avoir suffisamment effrayés. Ils disparaissaient alors au milieu d'une rafale de vent qui achevait de vous saisir.

Une autre fois, on les rencontrait encore, soit ensemble, soit isolément, assis sur leur train de derrière, sur le bord de la route ou près d'une caverne ou à l'entrée d'une carrière ; ils semblaient attendre quelqu'un et vous lançaient des regards foudroyants.
On ne s'en débarrassait pas toujours facilement, ni de la même façon : cherchez-vous à en éloigner certains à l'aide d'un bâton, ils se plaçaient en travers du chemin sur le derrière, vous regardant avec des yeux luisants comme des chandelles, tout prêts à vous dévorer si vous persistiez. Et pour avoir raison de cela, il fallait les amadouer et leur parler.
En fondant sur d'autres avec vigueur, on les déconcertait. Ils perdaient pied sitôt, s'éloignaient et laissaient le passage libre ; mais continuaient à suivre, néanmoins, pour épouvanter à distance.

A. MADELAINE - Au bon vieux temps.
Récits, contes et légendes du l'ancien Bocage Normand (1907)