Par une nuit étoilée, dans les costils du moulins de la Malherbière, au Tourneur , une dame de la Ferrière, ayant aperçu une de ses voisines qui la suivait décapitée, en fut toute saisie. A toutes jambes, elle se sauva dans la maison de son frère sise à peu de distance, heureusement. En arrivant, elle tomba évanouie avant d'avoir pu proférer une parole. Comme elle ajouta que la vision l'avait suivie longtemps, des voisins partirent aussitôt à la découverte, mais ils ne virent plus rien.
A la même époque, pareilles faits aussi bizarres arrivèrent au cimetière d'Arclais, près de Montchauvet. Un soir, assez tard, un habitant du Désert traversant ces parages isolés, autant que pittoresques et accidentés, fut surpris de trouver en travers du chemin une bière totalement couverte d'un linceul. Tout d'abord la frayeur l'envahit, mais enhardi par le "gros bère" qu'il avait absorbé copieusement, il se mit à frapper sur le fantôme de toutes ses forces.
L'effet fut tel qu'on pouvait le désirer, le fantôme demande grâce ; l'individu continue à frapper, le spectre supplie et obtient enfin qu'on le relâche. Les fumets du cidre s'étant dissipés, le voyageur regagne son logis à la hâte.
Avant de se coucher, il alla comme à son habitude donner un coup d'œil à ses bestiaux qui étaient au pâturage dans un herbage voisin. Il ne vit d'abord rien d'insolite, mais quand il se baissa pour soigner l'un d'eux, un homme sans tête se dressa devant lui. Il ne poussa aucun cri, mais un frisson terrible parcourut son être ; de toutes ses forces, il regagna sa demeure où il arriva transi, à moitié mort de peur. L'homme sans tête l'avait accompagné jusqu'à la porte, puis avait disparu.
La tradition rapporte aussi qu'à la Ferrière-Harang, un certain soir, à une heure avancée, un homme sans tête suivit longtemps un journalier le long d'un sentier, jusqu'au bord d'un ruisseau, où il le quitta à demi mort de peur.
A. MADELAINE - Au bon vieux temps
Récits, contes et légendes du l'ancien Bocage Normand (1907)