Vautier, moine renégat, moine apostat, chassé de plusieurs abbayes, avait enfin
réussi à force de ruses et d'hypocrisie à se faire admettre dans le monastère de
Fécamp. Il fit plus, il gagna la confiance de l'abbé à un tel point qu'on lui donna
la garde du Précieux Sang, ce riche trésor dont l'abbaye était si fière.
Ce misérable, abusant indignement de la faveur qui lui était accordée, enleva un
jour une portion de ce sang précieux qu'il cacha soigneusement dans une boîte
d'argent ; puis, prétextant un voyage dans la Terre Sainte, il entraîna dans son
projet les gentilshommes des environs, les châtelains des Hogues, de Préteval, du
Bec de Mortagne, de la Porte de Pierre et le seigneur de Goderville. Avec
cette escorte respectable, il traversa la France et s'embarqua à Aigues Mortes.
Mais à peine en haute mer voilà qu'ils sont assaillis par une furieuse tempête.
Le ciel est noir, les flots de la mer changent de couleur, ils paraissent rouges
et sanglants à la lueur des éclairs ; de temps en temps on voit entre deux vagues
le fond de l'abîme apparaître.
|
On resta trois jours et trois nuits dans cette affreuse
position, le navire ne devant son salut qu'à un miracle continuel qui le tenait
suspendu au-dessus des flots.
Enfin, Vautier ne pouvant plus résister aux cris de ses compagnons ni aux remords
de sa conscience, déclara qu'il était seul cause de la colère du ciel. L'aveu de
son crime fit frémir tout le monde, mais après une humble confession il fut précipité
au fond de la mer. On fit vœu de rapporter à Fécamp la précieuse relique que ce
misérable avait enlevée. Le calme succéda à la tempête, et on revint à Aigues Mortes
raconter la merveille dont on avait été témoin. Toute la ville accompagna jusqu'aux
portes les pèlerins, qui se mirent en route pour regagner leur patrie.
Arrivés à Goderville, ils firent une station dans l'église, et détachèrent un
écuyer pour annoncer à l'abbaye de Fécamp cette heureuse et triste nouvelle. L'abbaye
se leva en masse et demanda à aller au-devant du Précieux Sang que le ciel leur rendait
par un nouveau miracle. Rompant pour la première fois les règles austères du cloître,
l'abbé suivi de ses moines, suivi de la ville tout entière, se rendit jusqu'à
Goderville.
|