TRADITIONS
de
NORMANDIE


LE MASCARET

C'est dans la baie de Seine que le mascaret a été le plus régulièrement et le plus soigneusement observé. En accourant du large avec une vitesse de cinq mètres à sept mètres et demi par seconde, le mur liquide reste infléchi vers le centre sous la pression du courant fluvial.
Les deux pointes de l'énorme croissant se brise dans l'écume sur les rivages, tandis qu'au milieu de la concavité, la vague unie et ronde marche sans même rider l'eau devant elle. Le rouleau semble tourner sur le fleuve comme un serpent gigantesque ; il s'élève de deux ou trois mètres au dessus de la plaine liquide, et derrière lui se dressent, en rides concentriques, des vagues ou "éteules" non moins hautes, avant garde de la nappe de marée. Tous les obstacles placés sur la marche du mascaret l'exaspèrent, en accroissent l'élan.

Enfin, le flot, entrant dans une partie du lit plus large et plus profonde, se calme et modère graduellement la hauteur jusqu'à la rencontre d'un autre bas-fond ou d'un promontoire.
La durée et la hauteur du flot diminuent en proportion de la montée des eaux dans le lit fluvial. Le courant, ayant à débiter pendant la période du reflux non seulement ce que le flux marin lui avait apporté, mais aussi les eaux douces qui lui viennent de l'amont, doit suivre son cours normal vers la mer pendant un temps plus long que celui de son refoulement par la marée montante. Pour chaque point du lit de la rivière, la durée du flux est d'autant plus courte que ce point est plus éloigné de la mer : la force de la marée s'épuise peu à peu, et, vers la fin de sa course, elle se borne à retarder un instant la vitesse du courant fluvial.

Élisée RECLUS - Les phénomènes terrestres,
les mers et les météores (1882)