TRADITIONS
de
NORMANDIE


MANIÈRE DE TRAIRE LES VACHES

Bien traire les vaches n'est pas une chose si facile qu'on pourrait le croire, et bien des bonnes vaches ont été gâchées par la négligence ou la mauvaise volonté des servantes chargées de les traire. Il faut pour cela d'abord la volonté de bien faire, puis de l'habitude et de la force. Tous les motifs se réunissent pour que, si l'on a plusieurs vaches, on les fasse soigner et traire par un homme.
La vache à laquelle on a enlevé son veau, ou qu'on ne laisse pas téter par elle, est privée d'une des plus douces jouissances de l'amour maternel, mais ce devrait être encore pour elle une jouissance que d'être débarrassé de son lait par la main de l'homme. Pour cela, il faut d'abord que les vaches soient traitées avec douceur et qu'elles aiment celui qui les soigne au lieu de trembler devant lui, comme cela arrive trop souvent.
Les vaches ont la faculté de retenir leur lait lorsqu'on leur a enlevé leur veau. Beaucoup de vaches retiennent leur lait jusqu'à ce que son abondance et la douleur qui en résulte les forcent à le laisser aller.
Pour qu'une vache soit bien traite, il faut faire en sorte que cette opération lui soit agréable. Une bonne méthode qui est pratiquée dans la plupart des grandes vacheries, c'est que le vacher soit précédé d'un petit garçon qui fait passer ses mains sur les trayons comme s'il voulait réellement traire, mais qu'il n'exécute ce mouvement qu'avec légèreté pour faire éprouver à la vache une sensation agréable, sans faire couler le lait. Les vaches se trouvent ainsi préparées l'une après l'autre au moment où le vacher vient réellement les traire, et si celui-ci possède d'ailleurs l'amour de ses bêtes elles laissent facilement couler leur lait jusqu'à la dernière goutte. Si le vacher n'a pas d'aide, il opère lui-même cette manipulation des trayons pendant quelques instants, avant de commencer à traire réellement.

Pour traire, le vacher, assis sur une sellette à un pied, fixée autour de ses hanches au moyen d'une courroie, se place au côté droit de la vache. Il tient le seau à traire entre ses jambes, de manière à ce que ses mains soient libres. Ordinairement il appuie le front sur le flanc de la vache. Il prend un trayon dans chaque main et en diagonale, c'est-à-dire d'une main un trayon du côté droit et de l'autre un trayon du côté gauche, les saisissant assez haut pour comprimer une partie de la glande du pis, et il emploie la force de pression et de traction suffisante pour faire couler le lait. S'il opère régulièrement et alternativement le mouvement de monter et de descendre de chaque main, le lait coule sans interruption, de manière qu'on distingue à peine qu'il provient de deux sources. Ainsi les mouvements, outre qu'ils sont réguliers, ne doivent pas être trop précipités.
Quelques vachers replient le pouce de manière que le trayon est pressé entre les quatre doigts et la partie supérieure du pouce, c'est-à-dire l'ongle et l'espace compris entre l'ongle et la première articulation.
De quelque manière qu'on opère, il est de la plus grande importance de traire à fond ; le pis doit être vidé, et il est alors petit. Les vaches qui ont un pis charnu, qui reste gros lors même qu'il est vide, sont rarement bonnes laitières.
Lorsque le vacher est bon, les vaches restent ordinairement tranquilles pendant qu'il les trait.
Pour empêcher les mouvements de la queue dans la saison des mouches, quelques uns la fixent par une petite courroie qui fait le tour du jarret de la vache. Mais en appuyant contre le flanc de la vache et en tenant sous elle le seau à traire, on n'est pas incommodé par les mouvements de la queue, surtout si elle est propre.
Si la vache fait quelques mouvements, la sellette à un seul pied étant fixée au moyen d'une courroie, le vacher a les mains libres. Il peut facilement se reculer, se mettre debout, et il est bien rare que le lait soit renversé.

Annuaire Almanach de l'Eure (1863)