TRADITIONS
de
NORMANDIE


P'TIT JEAN, GROS JEAN & MARGOT LA FENDUE

Au cours des veillées hivernales, les Normands n'écoutaient pas seulement les belles légendes contées par l'aïeul de la famille. Une fois que les femmes avaient déposé leur ouvrage (filage, dentelles et travaux de couture), on se préparait à se divertir. Place aux jeux !
Celui de P'tit Jean, Gros Jean et Margot la Fendue avait les faveurs des Normands. Les joueurs se procuraient trois morceaux de bois, le premier devant être plus gros que le second et le troisième, fourchu. On les baptisait respectivement des trois noms cités. Le joueur qui se plaçait au centre du cercle formé par ses amis choisissait en secret l'un de ces trois bâtons et le cachait dans ses vêtements.
La tâche qu'il devait alors remplir était double : d'une part, il devait subir l'interrogatoire d'un joueur sans le laisser deviner quel bâton il avait choisi et, d'autre part, il lui fallait tenir en main un seau plein d'eau sans lui faire toucher terre avant que le joueur n'eût découvert le nom du bâton.

Lorsqu'il arrivait au milieu de ses compagnons, il jouait le rôle du fermier, père de trois enfants, qui cherchait auprès de la joyeuse assistance à faire engager l'aîné de ses enfants. Dans le cercle, un joueur désigné commençait à l'interroger pour savoir lequel de ses enfants, il voulait faire embaucher. Les réponses de notre ami lourdement chargé par le seau d'eau qu'il gardait en main étaient le plus évasives possible. Plus il réussissait à déjouer la perspicacité du participant, plus il devait endurer la charge du seau. Si, de fatigue, il posait le seau à terre, les joueurs se précipitaient sur lui pour lui administrer une correction avec les scions ou brindilles de bois qu'ils gardaient à portée de main. Le même châtiment attendait l'interrogateur qui se trouvait à court de questions ! Lorsque ce dernier trouvait la solution, le "père" sortait la preuve de sa poche et laissait la place au gagnant.

A. MADELAINE - Au bon vieux temps.
Récits, contes et légendes de l'ancien Bocage Normand (1907)