Les hommes étant encore dans l'état sauvage et ne sachant subvenir à leurs besoins,
l'un d'eux s'était, par un temps froid et humide, appuyé contre une haie, grelottant
tristement et ne pouvant manger les acres aliments que lui fournissait la nature.
Perchée sur une haie voisine, une rebette le regardait piteusement, elle aurait
bien voulu partager avec lui les plumes qui l'abritait, mais l'homme était si grand et elle si petite. Il lui surgit tout à coup au cœur un projet immense, dans son petit corps s'alluma un grand courage ; elle avait résolu d'aller elle même au ciel implorer Dieu en faveur de sa créature : au ciel c'était bien loin pour la pauvrette ! Aussi vola-t-elle quatre jours entiers avant d'arriver, et le cinquième elle vint tomber haletante et inanimée sur le giron de Dieu.
Le Seigneur en eut pitié, il la prit dans ses mains, la réchauffa, la ranima de
sa voix puissante et lui demanda la cause d'un si long voyage. L'oiseau lui
raconta les souffrances de l'homme, Dieu se laissa attendrir par elle et lui
confia le feu qui devait mettre un terme à toutes ces misères. La rebette revola
vers la terre, heureuse de son succès. Dieu lui avait bien recommandé d'aller
doucement de peur que, excitée par la résistance de l'air, le feu ne lui fit du
mal, mais la bonne oiselle était si pressée d'arriver qu'elle oublia la
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recommandation, et ses plumes, ses jolies plumes dont elle était si fière et qui
lui faisaient tant d'abri, ses jolies plumes furent brûlées.
Riche du présent de la rebette, l'homme ne tarda pas à découvrir l'usage qu'il
pouvait tirer du feu pour se réchauffer, faire cuire ses aliments et se soumettre
la nature, mais privé de son vêtement par trop de générosité, l'oiseau grelottait
à son tour. Ses frères, les autres oiseaux, s'en aperçurent, et, saisis de compassion,
ils résolurent spontanément de donner chacun une de leurs plumes pour revêtir
l'infortuné. Cela fut fait immédiatement ; mais là, comme partout, il se rencontra
un égoïste, le hibou, qui refusa de participer en rien à l'œuvre charitable ; les
oiseaux en furent si indignés qu'ils se précipitèrent sur lui, et à grand coup de
bec, ils le chassèrent de leur assemblée. Depuis cette époque le hibou vit seul,
retiré pendant le jour dans le creux des murailles et n'osant sortir que la nuit ;
mais cette retraite n'a pu désarmer la juste colère de ses frères ailés, car
aujourd'hui encore, si pour un moment il veut braver la honte que devrait lui
occasionner sa mauvaise action et s'aventure au milieu de ceux qui ne veulent
plus le reconnaître, le peuple oiseau l'en fait ressouvenir en s'assemblant
autour de lui, et le poursuivant de ses huées et de ses coups de bec, jusqu'à ce
qu'il se soit réfugié dans le trou qu'il ne doit plus quitter à la face du soleil.
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